La philosophie de l'imaginaire chez C.G. Jung

Ce travail de recherche sur La philosophie de l’imaginaire chez CG Jung ne pouvait s’achever sur un point final. Mais, parce qu’il fallait bien synthétiser dans une dernière réflexion, j’en ai cherché une tout à l’image de son concepteur, à la fois intimiste et terriblement universelle. Jung est un personnage si complet et si emblématique qu’il semble impossible de pouvoir conclure définitivement, de le cataloguer dans un registre auquel il n’aurait pas voulu appartenir : mais il est encore une chose que je voudrais vous dire : ce qu'on appelle exploration de l'inconscient dévoile en fait et en vérité l'antique et intemporelle voie initiatique. (...). Ce n'est pas mon simple "credo", mais l'expérience la plus importante et la plus décisive de toute ma vie : cette porte, une porte latérale toute banale, ouvre sur un étroit sentier, d'abord anodin et facile à embrasser du regard, - étroit et à peine marqué parce que bien peu seulement l'ont suivi - mais qui mène au secret de la métamorphose et du renouveau. [1] Peut-être Jung ne possédait-il les qualités recherchées en philosophie et par la philosophie ; peut être est-ce parce que l’exposition de l’intimité profonde de l’individu, de ses angoisses déclinées sur un mode Kierkegaardien, de ses rêves réels parce qu'inavouables, gênent encore une certaine morale. Peut-être a-t-on encore peur de ce qui, décrit dans une pratique parfois insuffisante mais allant dans le sens d'une cure de l'âme, pourrait devenir un jour peut-être, vérité vraie et universelle. Peut-être aussi existe-t-il réellement un fossé incommensurable entre mode conceptuel des Idées et application pratique. Mais n’est-ce pas refuser la réalité que de se placer uniquement d’un point de vue pratique ou uniquement d’un point de vue spéculatif ? La philosophie, en refusant de descendre de son piédestal, ne conçoit que l’aspect conceptuel, qui semble aujourd’hui par trop superficiel et inadapté à notre mode de vie actuel. D’un autre côté, le praticien, toujours orienté vers l’expérimentation, trouve inutile de prendre le temps nécessaire à la réflexion et joue avec la nature de manière dangereuse. Ainsi la dualité inéluctable que Jung dénonçait se retrouve aujourd’hui dans notre quotidien. Face à face s’affrontent ceux qui réfléchissent et édictent des lois générales sans connaître le fonctionnement intrinsèque des objets qu’ils ont en tête de légiférer, et ceux qui usent de la nature en jouant à l’apprenti sorcier, se souciant fort peu des conséquences de leurs interventions sur la nature. Chacun croît avoir raison et cependant chacun se trompe lourdement. Aucune connaissance ne peut être atteinte si chacun délègue en quelque sorte ses pouvoirs et agit uniquement dans le domaine qu’il s’est réservé. C’est ainsi qu’il semble bien difficile de faire tomber les barrières érigées au fil des siècles, barrières toujours aussi tenaces à l’heure actuelle. Le gouffre séparant le mathématicien du littéraire, l’intellectuel du manuel, le médecin du corps du médecin de l’âme, le féminin du masculin, ou bien encore Prométhée d'Epiméthée[2]… sont autant de préjugés tenaces qu’il paraît bien difficile à faire tomber. Et pourtant, la solution déclinée par Jung en bien des modes est souvent exemplaire et mériterait d’être aujourd’hui méditée. Car Jung ne nous demande en aucune façon de renier ce que nous sommes mais de prendre le temps de penser à l’autre partie de nous, cette zone antinomique, chargée d’ombre que nous trouvons dégradante, indigne de considération et d'incorporation. La connaissance du Soi réside dans cette intégration des opposés détenus au fond de nous de manière intrinsèque et développés seulement sous un aspect unique et réducteur. N’adhérer qu’en faveur de la conscience, c’est ainsi prendre délibérément un parti freudien ou adlérien ; c’est dénigrer ouvertement les appels de l’inconscient en refusant de le laisser s'exprimer totalement, _ c'est à dire d'en envisager les résidus archaïques collectifs _ . Et quand parfois ces exhortations se font sentir de manière oppressante, on les caricature ou on les rejette. Pourquoi ce qui est trop souvent observé comme une extravagance de l’être n'a-t-il pas voix au chapitre et n'est-il aujourd'hui considéré que comme un accident de parcours, une erreur de jeunesse ? La connaissance de soi est aussi et avant tout acceptation de soi dans un esprit de droiture et d'intégrité. L’authenticité de l'être passe par l'honnêteté envers soi-même et donc envers les autres. Aucune philosophie ne peut suffire à décrire, à elle seule, _ et avec suffisamment de précision et de sensibilité _, la démarche de Jung. Elle requiert le soutien de la littérature et de la poésie qui ont la capacité de l'aider à faire ressortir l’âme réelle du psychanalyste. Une âme humaine, sensible, à l’écoute des autres, consciente du pouvoir de son inconscient, capable de soulager les maux de ceux qui souffrent et de donner un sens à leur vie. Chaque moment de l'histoire de la philosophie a tenté de percer les mystères de l'homme essayant de livrer en quelque sorte un mode d'emploi : il y eut la métaphysique selon Platon, puis l'ontologie d'Aristote, le rationalisme de Descartes auquel répondit l'empirisme anglo-saxon de Locke et de Hume, le criticisme de Kant, la dialectique de Hegel, le renoncement de Schopenhauer, Nietzsche et son monde du surhomme, Freud et l'avènement de la psychanalyse. Jung ne déroge pas à la règle. Il propose sa version et sa propre traduction, apportant sa pierre de touche à l’édifice le plus complexe qu'il soit concevable de saisir dans sa totalité pour un penseur scientifique : l'être humain. C’est dans l’équilibre des opposés et l’harmonisation fragile mais nécessaire de ce que notre conscience sait et que notre inconscient contient enfoui, que se trouve la possibilité de réalisation de l’individu. Cette réalisation Jung l'avait saisie pour lui-même et l'ayant expérimentée, il avait su la comprendre et l'apprivoiser. Il avouait que partout où nous conduit notre besoin de connaissance, nous nous heurtons aux opposés, qui en définitive constituent la structure de l'être. Quant au centre, c'est l'indivisible monade du Soi, l'unité et la totalité du sujet vivant ses expériences[3]. Sa philosophie, c'est essentiellement un mode de vie, le plus difficile qui soit, car ingrat et périlleux, plein de fausses promesses mais tendu vers le plus beau et le plus parfait de tous les devenirs. La philosophie de l'imaginaire chez Jung, que l'on aurait pu penser comme forme poétique dérivant dans une ouverture de sens telle qu'elle en perdait ses repères, entre au contraire dans une rigueur caractéristique de tout esprit scientifique drastique. L'ouverture et les champs si vastes d'approches se sont tous orientés vers une même conclusion dont l'ambiguïté est encore une fois à l'image même du symbolisme. Le particularisme de la psychologie jungienne, qui la distingue des autres types de psychologies, montre l'universalité de toutes les sciences et résonne comme un hymne à la réconciliation de ces antinomies inconscientes du fait qu'elles sont symboliquement mais aussi dans l'Absolu, une seule et même chose. Tout est interprétation, mais tout est aussi et avant tout contenu dans la compréhension qui déterminera l'orientation de la traduction. [1] extrait d'une lettre parue dans "Correspondance , tome I, 1906-1940 ", Albin Michel, Paris 1993 [2] Jung a consacré une centaine de pages dans les Types psychologiques à l'étude de ces deux personnages tirés de l'œuvre de Spitteler (Prométhée et Epiméthée), l'un, introverti et l'autre, extraverti. Cette étude n'a pas été reprise "littéralement" mais ses principales composantes comme l'anima (en tant qu'attitude interne, inconsciente de l'être) , la persona (en tant qu'attitude externe ou consciente), ou la découverte du Soi ont été largement développées au cours de ce travail. [3] Conclusion d'une lettre de Jung à un destinataire non nommé suisse, in La réalité de l'âme, annexes, p 1124.