C'est dans le cadre de l'Ecole Doctorale "Concepts et langages" de l'Université de Paris IV Sorbonne, que Philippe Sapowicz a préparé une thèse de philosophie sur l’influence des philosophies indiennes dans l’œuvre de C. G. Jung.
C'est avec un plaisir évident qu' INDIVIDUATION Magazine publie aujourd'hui un article de présentation des travaux de ce chercheur qui devrait prochainement, en tant que membre du réseau international des Training Partners de la société OTT Partners, animer une formation complète sur le thème en question.
« C. G. Jung et la pensée indienne »
"Les sources orientales, en particulier, les philosophies indiennes, eurent un écho considérable dans la pensée de Carl Gustav Jung. Dans son œuvre, les références à l’hindouisme et au bouddhisme sont fort nombreuses. S’il est un auteur qui n’a pas oublié l’Inde, c’est bien Jung, convaincu que la pensée indienne produit d’authentiques philosophies, allant ainsi à l’encontre de préjugés alimentés par certains philosophes comme Hegel, Husserl, Heidegger, etc. pour qui la philosophie est née et ne peut se développer qu’en Occident. La confrontation de Jung avec l’univers indien date des années 1910, après sa rupture avec Freud. Dès les Métamorphoses de l’âme et ses symboles, afin d’élargir le concept de libido et de le défaire de sa connotation sexuelle, Jung s’inspire d’ouvrages indiens majeurs, en particulier, la Bhagavad Gîta, les Upanisads et le Veda. De plus, il fréquenta plusieurs spécialistes de l’Inde dont Heinrich Zimmer qui fut un ami proche. Jung sera invité en Inde par le gouvernement anglais en 1938, où il reçut trois doctorats honoris causa des universités de Calcutta, de Bénarès, et d’Allâhâbâd. Dans son autobiographie, il écrit : « j’avais alors beaucoup lu de philosophie indienne et approfondi l’histoire religieuse de ce pays; j’étais très profondément convaincu de la valeur de la sagesse orientale ». Toutefois, Jung posera un regard critique sur la spiritualité indienne, ne voulant pas « copier » ou emprunter des théories qu’il ne pourrait pas saisir. Il ne convient donc pas, selon Jung, de mimer ou d’importer ces vérités comme des dogmes. Il ne s’agit pas, non plus, de rejeter les philosophies orientales, comme l’a fait l’Occident quasi systématiquement, parce que la démarche n’y est pas la même, ne répondant pas aux mêmes critères de rationalité. Du point de vue typologique, l’Occidental semble surtout être extraverti et l’Oriental est plutôt introverti, note Jung. Cependant, le psychiatre suisse tente de dresser des ponts entre les pensées de l’Orient indien et l’Occident, non pas à la manière d’un philosophe orientaliste mais à la lumière de la psychanalyse.
De l’interprétation des textes et des symboles indiens, il y trouvera « la substantifique moelle » qui va alimenter sa propre pensée, on pourra citer l’exemple du Soi, le véritable centre de l’individu d’après Jung, proche de l’âtman des Upanisads. L’âtman en tant que Soi individuel a vocation à se joindre à l’Absolu, le brahman. Cependant, reconnaît Jung, l’expérience du Soi suppose l’existence d’une forme de conscience capable de rapporter une telle expérience, ce qui implique qu’il n’y a pas une totale dissolution. Présent dans les Upanisads, le jeu des opposés, est aussi une thématique sur laquelle il s’appuiera tout au long de son œuvre. On le sait, Jung définit les opposés comme des contenus psychiques antagonistes (amour, haine,…). La sotériologie hindoue consiste, essentiellement, à se libérer de ces opposés et demeurer dans l’état de « nirdvandva ». Cet état conduit à la libération (moksa) de ces opposés vers le chemin du Soi. La libération doit s’accompagner d’une pratique, Jung s’intéresse à la méditation, aux mandalas, et aux différents types de yoga, véritables processus de détachement et de centration. D’autre part, Jung décèle dans la notion indienne de l’ahamkâra, particulièrement dans l’école du Sâmkhya, le principe individuant qui guide l’existence de l’individualité psychique, c’est-à-dire une forme d’ego qui n’est pas isolée du Soi mais au contraire qui le dévoile.
Si Jung s’est intéressé également à l’enseignement du bouddhisme, il l’a fait en tant que médecin, en particulier, en s’interrogeant sur ce qui touche à la douleur, à son apparition, aux conditions de sa suppression, et aux moyens de s’en libérer. D’après le psychiatre suisse, une des originalités du bouddhisme réside dans cette démarche salvifique. Le bouddhisme s’attache surtout à poser les conditions de la voie de la libération et à échapper à la sujétion du karman, autrement dit l’héritage des facteurs individuels et collectifs. D’autre part, Jung fera deux commentaires psychologiques de célèbres ouvrages du bouddhisme tibétain : le Bardo-Thödol et le Livre tibétain de la Grande Libération, véritables discours sur l’âme humaine dont il admirait la profondeur."
Texte original de Philippe SAPOWICZ